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Article technique

Le SO2 est l’un des additifs les plus couramment utilisés dans l’industrie agro-alimentaire. Dans les vins, le SO2 est utilisé pour ses propriétés antimicrobiennes et antioxydantes. Les propriétés antioxydantes du SO2 jouent un rôle essentiel dans le contrôle de l’évolution des arômes du vin, de sa couleur lors de l’élevage, et la maîtrise de sa durée de vie. C’est le SO2 libre qui a ces propriétés antioxydantes. Le reste du SO2 total est présent sous forme de SO2 combiné (SO2 lié de façon réversible ou irréversible avec plusieurs composés du vin) et de SO2 moléculaire.

La réaction directe entre le SO2 et l’oxygène moléculaire est lente et requiert la présence d’un catalyseur tel que le fer ou le cuivre. En conditions œnologiques, le SO2 libre peut réduire les quinones, produits d’oxydation, en phénols (Waterhouse et al. 2006, Danilewicz et al. 2010), ce qui ralentit le processus d’oxydation (figure 1). Il réagit également avec un oxydant puissant, le peroxyde d’hydrogène, généré par l’oxydation des composés phénoliques (figure 1) et prévient ainsi la formation d’éthanal (Danilewicz et al. 2010). Ces deux mécanismes conduisent à une diminution de la concentration en SO2 libre et total lors du stockage du vin.

Figure 1: mécanisme d’interaction de l’oxygène avec un polyphénol en absence et en présence de SO2 (Danilewicz et al., 2010).

Des niveaux insuffisants en SO2 libre induisent la détérioration rapide des arômes et de la couleur du vin. Cependant, en raison de sa toxicité, les doses d’utilisation de SO2 sont régulées et la tendance générale est à la réduction du SO2 en cours de vinification et dans les vins en bouteilles.
La maîtrise de l’oxygène est un paramètre d’importance qui devient de plus en plus pertinent dans la filière: des moyens technologiques de mesure des prises d’oxygène sont aisément disponibles et des outils d’apport d’O2 connus existent en cours de vinification (micro-oxygénateur…) et de stockage en bouteille (bouchons à transfert d’oxygène maîtrisés). Cependant, un aspect fondamental du rôle du SO2 dans le vin reste à définir : le rapport entre la quantité d’O2 consommée par le vin et la quantité de SO2 perdue. Ce dernier aspect est déterminant pour prévoir la diminution de la concentration de SO2 au cours du temps, facteur clé de la durée de vie d’un vin.

Matériels et méthodes

Différents essais sur des cépages variés et des conditions de vinifications différentes ont été menés en collaboration avec des instituts de recherche dont :

  • 3 rosés de Grenache Noir (Wirth et al. 2012), 3 rouges de Grenache Noir de macération traditionnelle et un de flash détente avec ou sans utilisation de micro-oxygénation (Wirth et al. 2010, Caillé et al. 2010) avec l’INRA de Montpellier
  • 2 rouges de Syrah de macération traditionnelle avec ou sans utilisation de micro-oxygénation (Ugliano et al. 2012) et un blanc de Sauvignon Blanc traités ou non au sulfate de cuivre (Ugliano et al. 2011) avec l’AWRI
  • Un rouge de Cabernet Sauvignon avec ou sans utilisation de micro-oxygénation et de colle (Han et al. 2015) et un blanc de Chardonnay avec ou sans élevage sur lie en cuve inox ou en barrique (Waterhouse et al. 2016) avec l’UC Davis
  • 2 blancs de Riesling (Dimkou et al. 2011 et 2013) avec l’université de Geisenheim

Tous les vins ont été soumis après mise en bouteille à 3 ou 4 degrés d’exposition à l’O2 par utilisation d’obturateurs co-extrudés (Nomacorc) présentant différents taux de transmission d’oxygène (OTR, Oxygen Transmission Rate), combinés à un stockage des bouteilles sous des atmosphères de concentrations en oxygène diverses. La pénétration d’oxygène à travers le bouchon a été mesurée (NomaSense O2 P6000) dans des bouteilles remplies avec de l’azote, obturées avec les bouchons utilisés pour l’étude et stockées dans les mêmes conditions que les vins expérimentaux (Diéval et al. 2011). Les degrés d’exposition à l’oxygène créés ont varié de très faibles (0.2 mg/an, similaires à ceux d’une capsule à vis) à élevés (4 mg/an).
Ce sont au total 54 vins rouges, 46 vins blancs et 20 vins rosés qui ont été suivis au cours de ces essais.

Le SO2 libre et total a été dosé par la méthode de Ripper sur chacun des vins régulièrement pendant 12 à 24 mois selon les essais. Au même moment, l’oxygène dissous et gazeux présent dans la bouteille a été mesuré par luminescence (Dimkou et al. 2011) avec l’oxymètre portable NomaSense O2 P6000.

Le Total Consumed Oxygen (TCO, ou oxygène total consommé) a été calculé comme la somme de l’oxygène présent à la mise en bouteille appelée TPO (oxygène situé dans l’espace de tête + oxygène dissous) et de l’oxygène entrant dans la bouteille à travers le bouchon lors du stockage, à laquelle sont soustraits l’oxygène dissous et l’oxygène de l’espace de tête mesurés à chaque étape.

Effets de l’exposition à l’oxygène post-embouteillage sur l’évolution du SO2 lors du stockage du vin

La figure 2 montre un profil caractéristique de la baisse de SO2 libre dans des vins stockés sous différents degrés d’exposition à l’oxygène. Ces degrés ont été créés en utilisant le même bouchon pour chaque modalité mais en créant :

  • un niveau d’oxygène plus ou moins élevé à l’embouteillage (0,5 à 1,5 mg/L d’O2 total, somme de l’O2 dissous et de l’O2 de l’espace de tête, aussi appelé Total Package Oxygen ou TPO)
  • et un stockage dans des atmosphères de teneurs différentes en O2 (air à 21% d’O2 et atmosphère inertée à 1% d’O2)

Le niveau le plus élevé de TPO à l’embouteillage engendre une baisse plus rapide du SO2 dès les premiers points de mesure, à condition de stockage équivalente.

A condition d’embouteillage équivalente, le stockage à 21% d’O2 (air) permet d’obtenir des transferts d’O2 plus important à un temps donné qu’un stockage à 1% d’O2, ce qui est équivalent à l’utilisation d’un bouchon d’OTR moins élevé. Une baisse moins rapide du SO2 est observée dans ce dernier cas.

Figure 2 : évolution du SO2 libre dans un vin de Riesling. Toutes les modalités présentent le même bouchon co-extrudé mais les conditions de mise et de stockage diffèrent.

Corrélation entre le contenu en O2 du vin et l’évolution du SO2

La corrélation entre la perte en SO2 libre et la baisse de l’oxygène dissous est la plus élevée aux cours des premiers jours après l’embouteillage (Tableau 1) même si le coefficient de corrélation reste aux alentours de 0,8.

La mesure de l’O2 dissous ne permet donc pas de déterminer correctement la quantité d’O2 totale qui a été consommée par le vin. Pour cela, il faut faire un bilan matière prenant en compte toutes les sources d’O2 : O2 dissous et O2 gazeux de l’espace de tête pris à l’embouteillage ainsi que l’O2 entrant dans la bouteille par le bouchon. A cela, il faut retrancher à chaque point de mesure, le dissous et l’O2 gazeux de l’espace de tête qui n’ont donc pas été consommés pour accéder à l’O2 Total Consommé (TCO).

Connaissant la quantité totale d’oxygène pouvant réagir avec le vin, on peut alors envisager d’établir une corrélation avec la baisse du SO2, un des antioxydants les plus facilement mesurables dans le vin.

Il a été montré dans la littérature que l’activité antioxydante du SO2 dans le vin n’est pas due à une réaction directe entre l’oxygène et HSO3, la forme principale du SO2 dans le vin (Danilewicz 2010) selon l’équation 1 :

2HSO3 + O2 ———-> 2 SO42- (1)

Le mécanisme de réaction met en jeu des mécanismes plus complexes faisant intervenir quinones et peroxyde d’hydrogène. Il est d’usage dans la filière de considérer que la consommation d’1 mg d’O2 provoque une chute de 4 mg de SO2, en référence à la stœchiométrie de l’équation 1.

Figure 3 : concentration de SO2 libre mesurée dans 16 modalités de Riesling différant par le degré d’exposition à l’O2 lors de l’embouteillage et du stockage en fonction de l’O2 total consommé (TCO).

Pour les 54 vins rouges, 46 vins blancs et 20 vins rosés étudiés, une corrélation linéaire a été observée entre la concentration de SO2 libre et le TCO. La figure 3 regroupe cette corrélation sur les 16 modalités d’un des vins de Riesling suivis avec l’université de Geisenheim. La corrélation obtenue comporte un coefficient directeur de -2.2, indiquant que la consommation de 1 mg d’O2 provoque la perte de 2.2 mg de SO2 libre. Ce ratio est largement inférieur à 4, communément admis dans la filière.

Sur les 120 vins suivis, la perte moyenne de SO2 est de 2.5 mg pour 1 mg d’O2 consommé. Des ratios plus élevés que 4, parfois jusqu’à 10, ont été cependant mesurés sur des vins embouteillés avec des obturateurs de faible OTR, laissant envisager l’implication du SO2 dans des mécanismes autres que l’oxydation et possiblement des mécanismes de réduction.

Mise au point d’un calculateur permettant d’estimer la durée de vie du vin

Le ratio moyen de 2,5 a été considéré pour mettre au point un calculateur de durée de vie probable du vin, sans apparition de défaut oxydatif. Pour cela, il a été admis que lorsque le niveau de SO2 libre est inférieur à 10 mg/L, le risque d’apparition d’arôme d’oxydation est fort, comme décrit par Ferreira (2010). Ceci a été corroboré par les dégustations des présents essais par des jurys entrainés. Ce calculateur (figure 4) permet d’estimer le temps nécessaire pour atteindre ce seuil de 10 mg/L de SO2 libre en renseignant :

  • la teneur en SO2 libre du vin le jour de la mise en bouteille
  • le TPO (O2 dissous + O2 de l’espace de tête) à la mise en bouteille
  • la contribution totale de l’obturateur en apport d’oxygène : désorption de l’oxygène du bouchon et entrée d’oxygène à travers le bouchon (OTR).

Le modèle a été affiné en intégrant des paramètres complémentaires tels que :

  • le SO2 total, image de l’oxydation que le vin a subi pendant la vinification et donc du réservoir de composés aromatiques oxydatifs pouvant être libérés au cours du stockage
  • la température de stockage du vin, influençant les vitesses de réaction
  • le niveau de polyphénols mesurés par voltamétrie linéaire de balayage (indice PhenOx obtenu avec l’analyseur NomaSense PolyScan P200), ces composés étant largement impliqués dans les réactions d’oxydation.
Figure 4 : application permettant de prédire la durée de vie d’un vin

Conclusion

Dans un premier temps cette étude a pu démontrer que la simple mesure de l’oxygène dissous ne permet pas de prédire l’évolution des vins et qu’il faut considérer les apports d’oxygène dans leur ensemble (dissous, espace de tête, apport des systèmes de bouchage) pour pouvoir trouver une quelconque corrélation avec des évolutions de concentrations en molécules constitutives du vin. De plus, cette étude du lien entre O2 consommé et chute de SO2 libre dans les vins embouteillés a permis de montrer, qu’en moyenne, 1 mg d’O2 consommé engendre la perte de 2,5 mg de SO2 libre. Ce ratio a été intégré dans un calculateur qui permet d’estimer les pertes potentielles de SO2 libre dans le vin au cours de sa vie en bouteille et ainsi d’estimer une durée de vie du vin avant le développement de profils aromatiques oxydés marqués. Ce ratio peut cependant varier d’un vin à un autre, donc le résultat du calculateur n’apporte qu’une estimation, et a surtout un but pédagogique pour montrer l’importance de certains facteurs sur l’évolution des vins et guider les améliorations en production.

Bibliography
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