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Article technique

Meistermann Eric1, Jean Baptiste Diéval2

Le rôle de l’oxygène dans le vieillissement des vins est connu depuis Louis Pasteur. Mais c’est seulement depuis une quinzaine d’année, grâce à l’amélioration des techniques de mesure de l’oxygène total en bouteille (Diéval, Vidal, & Aagaard, 2011) et l’évolution des méthodes d’obturation des bouteilles, que des progrès importants ont été réalisés dans la maîtrise des phénomènes d’oxydation des vins en bouteilles. La tendance actuelle de réduction des sulfites dans les vins et, plus récemment, la nécessité d’assurer une bonne conservation des vins donnent une importance encore plus grande à cette problématique.

Tout d’abord, il a été montré que la quantité d’oxygène emprisonnée au moment du conditionnement affecte l’évolution future du vin (Dimkou, Ugliano, Diéval, Vidal, & Jung, 2013; Dimkou et al., 2011), mettant en évidence l’intérêt pratique de la maîtrise des prises d’oxygène au moment de la mise en bouteille. Par ailleurs, un nombre important d’études ont permis de mettre en évidence l’impact de la perméabilité mesurée des obturateurs sur l’évolution du vin en bouteille (Caillé et al., 2010; Dimkou et al., 2013; Dimkou et al., 2011; Ugliano, 2013; Ugliano et al., 2012; Ugliano et al., 2011; Wirth et al., 2012; Wirth et al., 2010). Ces études ont montré qu’en modulant la quantité d’oxygène qui pénètre dans la bouteille, l’obturateur peut orienter les vins vers des profils sensoriels différents allant de la réduction à l’oxydation.

Cette étude a pour objectif d’évaluer l’impact de la perméabilité à l’oxygène de l’obturateur sur le profil des vins de deux cépages alsaciens en fonction de la gestion du sulfitage au cours de leur élaboration. Le but ultime de ce travail est d’adapter l’obturateur aux potentialités du vin et aux objectifs de commercialisation.

Protocole expérimental

Le dispositif expérimental comporte trois facteurs et douze modalités en tout :

  • Facteur 1 = Cépage: l’étude est conduite sur Riesling et Gewurztraminer, deux cépages emblématiques du vignoble alsacien ayant des caractéristiques œnologiques assez différentes.
  • Facteur 2 = Gestion du SO2: les vinifications sont réalisées à partir d’un même moût selon deux stratégies de gestion des sulfitages :
    • Le sulfitage optimisé intègre les pratiques d’emploi du S02 de la région permettant d’obtenir des vins avec des teneurs en SO2 libre conformes aux usages.
    • Le sulfitage réduit a pour objectif de réduire le sulfitage de 50% environ par rapport au précédent.

Les caractéristiques analytiques des vins après mise en bouteilles (Tableau 1) montrent que la réduction de la teneur en SO2 total est de 50% sur Riesling et 40% sur Gewurztraminer. Les teneurs en SO2 total sont plus élevées sur ce dernier cépage qui est moins acide. Les vins sont secs et n’ont pas fait la fermentation malolactique.

  • Facteur 3 = Obturateurs: les vins sont embouteillés avec trois types d’obturateurs synthétiques de la gamme Nomacorc Select présentant différentes perméabilités à l’oxygène (Tableau 2).

L’étude a été mise en place sur des vins de la récolte 2012. La mise en bouteilles a été effectuée en avril 2013, avec un Total Package Oxygen (TPO) voisin de 1,7 mg/L. Les vins ont été suivis au cours de leur conservation en bouteilles à température régulée (12°C), par des analyses du SO2, d’intensité colorante et des analyses sensorielles. La première dégustation a eu lieu 5 mois après mise et une analyse a été réalisée après 7 mois de conservation en bouteilles. Les dégustations et analyses suivantes ont eu lieu après 13, 25, 49 et 60 mois de bouteilles. Les qualités organoleptiques des vins sont évaluées par des jurys composés de 8 à 14 dégustateurs professionnels (viticulteurs, techniciens, œnologues) par des dégustations descriptives.

Tableau 1 : Gestion des sulfitages et caractéristiques analytiques des vins après mise en bouteilles
Tableau 2 : Dimensions et propriétés des obturateurs comparés (source : Nomacorc by Vinventions)

Évolution des teneurs en SO2 et de la couleur des vins

Au cours de la conservation en bouteilles, les teneurs en SO2 libre diminuent rapidement pendant la première année (Figure 1) en raison de la consommation de l’oxygène total (dissous et gazeux dans l’espace de tête) pris au moment de la mise en bouteilles. La diminution est plus faible par la suite et c’est à ce stade que se mettent en place les différences entre les obturateurs en fonction de leur perméabilité à l’oxygène. Dans les modalités Sulfitage réduit, il n’y a plus de SO2 libre après 4 ans de conservation en bouteilles. Les résultats sont comparables pour les deux cépages. L’intensité colorante, mesurée par la densité optique à 420 nm, augmente de manière assez régulière au cours du temps (Figure 2). Elle est plus élevée lorsque le sulfitage est réduit et que la perméabilité de l’obturateur augmente. Les écarts entre les deux modes de gestion du sulfitage sont plus importants qu’entre les trois types d’obturateurs. Ces résultats sont conformes à ce qui est généralement observé lors du suivi analytique des vins en bouteilles.

Figure 1 : Evolution des teneurs en SO2 libre (en mg/L) au cours de la conservation en bouteilles dans les vins de Riesling
Figure 2 : Evolution de l’intensité colorante (DO420) des vins de Gewurztraminer au cours de la conservation en bouteilles

Évolution des caractéristiques organoleptiques des vins

Impact du mode sulfitage

Les vins des deux cépages élaborés chacun selon deux modes de gestion des sulfitages évoluent de manière différente (Figure 3). Le descripteur « qualité » des vins a été retenu pour évaluer cet essai : il caractérise l’adéquation entre le profil dégusté et le profil attendu sur chacun des cépages par le jury, c’est-à-dire un profil de type réducteur avec des notes minérales pour les Rieslings et un profil de type plus ouvert, avec des notes florales pour les Gewurztraminers.

Avec un sulfitage optimisé, la qualité des vins se maintient pendant les 4 premières années ; elle s’améliore un peu sur Riesling au cours des deux premières années avec l’apparition de notes minérales. Ce n’est qu’après 5 ans de bouteilles que les vins présentent des signes d’évolution et une augmentation de l’intensité de l’oxydation (Figure 4).

Avec un sulfitage réduit, la qualité des vins est assez proche de celle des vins de référence lors de la première dégustation. Sur Gewurztraminer, elle se détériore assez rapidement par la suite, du fait de notes plus oxydatives. Sur Riesling, l’écart est moins important car le caractère oxydatif est atténué par l’apparition de notes minérales caractéristiques de ce cépage.

Figure 3 : Evolution des notes de qualité globale des vins (moyenne des trois obturateurs)
Figure 4 : Evolution de l’intensité de l’oxydation (moyenne des trois obturateurs)

Effet des obturateurs

Lors de la première dégustation, 5 mois après mise en bouteilles, il n’y a pas de différences entre les obturateurs, du fait de l’impact du TPO (prise d’O2 lors de la mise) à ce moment de la conservation. Par la suite, l’incidence du type d’obturateur dépend à la fois du cépage et de la gestion du sulfitage.

Sur Riesling, avec l’obturateur le plus perméable à l’oxygène, la qualité du vin se détériore dès la deuxième dégustation (Figure 5). C’est particulièrement visible lorsque le sulfitage est réduit. Les vins présentent des notes oxydatives plus intenses et des notes florales bien plus faibles pour cette modalité. A l’inverse, avec l’obturateur le moins perméable, la qualité du vin s’améliore après 12 mois de bouteilles et se maintient au cours du temps. Avec une perméabilité intermédiaire, l’évolution du vin oscille entre profil réducteur (notes minérales) et profil ouvert (notes oxydatives) selon le mode de gestion du sulfitage : une évolution apparaît dès la première année lorsque le sulfitage est réduit, mais il est retardé après trois ans avec un sulfitage optimisé.

Sur Gewurztraminer, malgré une intensité de l’oxydation légèrement plus élevée, les vins bouchés avec l’obturateur le plus perméable sont préférés lors des trois premières dégustations (Figure 6). Ils présentent des notes aromatiques plus fruitées et épicées qui disparaissent par la suite, entrainant une perte de qualité en particulier lorsque le sulfitage est réduit. Après 4 ans de bouteilles, l’obturateur intermédiaire est préféré lorsque le sulfitage est optimisé et l’obturateur le moins perméable avec un sulfitage réduit.

Figure 5 : Evolution de la qualité globale des vins en fonction du type d’obturateur et de la gestion du sulfitage sur Riesling. A = Riesling sulfitage optimisé, B = Riesling sulfitage réduit
Figure 6 : Evolution de la qualité globale des vins en fonction du type d’obturateur et de la gestion du sulfitage sur Gewurztraminer. A = Gewurztraminer sulfitage optimisé et B = Gewurztraminer sulfitage réduit.

La réduction du SO2 au cours de la vinification entraine une évolution plus rapide des vins qui sont logiquement plus sensibles à l’oxydation. Mais il apparait également des différences de comportement entre les deux cépages étudiés. Les résultats obtenus confirment les observations réalisées par la Chambre d’Agriculture d’Alsace lors d’une comparaison de différents obturateurs (Ansen & Pinsun, 2009; Pinsun, 2010, 2012). Cette étude avait montré que le Riesling est plus sensible à l’oxydation et qu’il supporte une légère réduction. Les obturateurs les moins perméables sont mieux adaptés sur ce cépage, en particulier pour des vins de garde. En revanche, ils ne conviennent pas au Gewurztraminer car ils ont tendance à provoquer des goûts de réduction ou tout du moins une fermeture aromatique des vins. Ce cépage est plus sensible à la réduction et supporte mieux une légère oxydation.

Le choix de l’obturateur optimal pour chacun des quatre vins peut être résumé de la manière :

  • Riesling – Sulfitage optimisé :
    • perméabilité très faible ou faible pour garde supérieure à 4 ans
    • perméabilité modérée acceptable pour une garde inférieure à 4 ans.
  • Riesling – Sulfitage réduit : perméabilité très faible impérativement
  • Gewurztraminer – Sulfitage optimisé :
    • perméabilité modérée pour une garde de 2-3 ans
    • perméabilité faible pour une garde plus longue.
  • Gewurztraminer – Sulfitage réduit : perméabilité très faible ou faible.

Conclusion

L’importance de l’oxygène au moment de l’embouteillage et le rôle de l’obturateur sur la conservation des vins en bouteilles n’est plus à démontrer. Le vieillissement du vin dépend également de ses qualités intrinsèques, du cépage et de son itinéraire d’élaboration. Il existe des différences de comportement entre les vins de Riesling et de Gewurztraminer. Le Riesling est sensible à l’oxydation et sa qualité organoleptique décroit lorsque la quantité d’oxygène à laquelle il est exposé en bouteille augmente. Il perd ses notes florales et minérales. L’obturateur le moins perméable est mieux adapté sur ce cépage. Ce type d’obturateur doit être évité sur Gewurztraminer qui est, au contraire, sensible à la réduction. Les vins perdent alors leurs notes fruitées et épicées. La gestion du SO2 au cours de la vinification et au moment de la mise en bouteilles joue un rôle majeur dans la capacité de vieillissement et de conservation des vins. Pour les vins de cette étude, le sulfitage réduit a conduit à des vins plus évolués sur Gewurztraminer que sur Riesling. La différence de pH peut intervenir sur cette différence d’évolution. L’utilisation d’un obturateur moins perméable à l’oxygène permet d’atténuer en partie les conséquences de la réduction de la teneur en SO2 dans les vins.

La connaissance de ces facteurs doit permettre d’adapter le choix de l’obturateur, selon sa perméabilité à l’oxygène, en fonction du cépage, de l’itinéraire de vinification et en particulier de la gestion du sulfitage ainsi que de la durée de conservation souhaitée du vin en bouteilles.

En savoir plus sur les bouchons Nomacorc

1 Institut Français de la Vigne et du Vin – Pôle Alsace – Colmar – France
2 Vinventions – Enology Team – Rodilhan – France

Bibliographie
  1. Ansen, D., & Pinsun, M. (2009). Résultats préliminaires de la comparaison de différents obturateurs en Alsace. Les Vins d’Alsace, (4), 18-22.

  2. Caillé, S., Samson, A., Wirth, J., Diéval, J.-B., Vidal, S., & Cheynier, V. (2010). Sensory characteristics changes of red Grenache wines submitted to different oxygen exposures pre and post bottling. Analytica chimica acta, 660(1-2), 35-42.

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  3. Diéval, J. B., Vidal, S., & Aagaard, O. (2011). Measurement of the oxygen transmission rate of co‐extruded wine bottle closures using a luminescence‐based technique. Packaging Technology and Science, 24(7), 375-385.

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  4. Dimkou, E., Ugliano, M., Diéval, J.-B., Vidal, S., & Jung, R. (2013). Impact of dissolved oxygen at bottling on sulfur dioxide and sensory properties of a Riesling wine. American Journal of Enology and Viticulture, 64(3), 325-332.

  5. Dimkou, E., Ugliano, M., Dieval, J. B., Vidal, S., Aagaard, O., Rauhut, D., & Jung, R. (2011). Impact of headspace oxygen and closure on sulfur dioxide, color, and hydrogen sulfide levels in a Riesling wine. American Journal of Enology and Viticulture, 62(3), 261-269.

  6. Pinsun, M. (2010). Résultats après 36 mois de vieillissement de gewurztraminer et de riesling fermés avec différents obturateurs. Le Paysan du Haut-Rhin, 6 août 2010, 18-19.

  7. Pinsun, M. (2012). Qualité des vins. Quel bouchon pour quel vin ? L’Est Agricole et Viticole (27), 46.

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  9. Ugliano, M., Dieval, J.-B., Siebert, T. E., Kwiatkowski, M., Aagaard, O., Vidal, S., & Waters, E. J. (2012). Oxygen consumption and development of volatile sulfur compounds during bottle aging of two Shiraz wines. Influence of pre-and postbottling controlled oxygen exposure. Journal of agricultural and food chemistry, 60(35), 8561-8570.

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  10. Ugliano, M., Kwiatkowski, M., Vidal, S., Capone, D., Siebert, T., Dieval, J.-B., . . . Waters, E. J. (2011). Evolution of 3-mercaptohexanol, hydrogen sulfide, and methyl mercaptan during bottle storage of Sauvignon blanc wines. Effect of glutathione, copper, oxygen exposure, and closure-derived oxygen. Journal of agricultural and food chemistry, 59(6), 2564-2572.

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  12. Wirth, J., Morel-Salmi, C., Souquet, J. M., Dieval, J., Aagaard, O., Vidal, S., . . . Cheynier, V. (2010). The impact of oxygen exposure before and after bottling on the polyphenolic composition of red wines. Food Chemistry, 123(1), 107-116.

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